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La prescription et la dénonciation dans une chaîne internationale de contrats

Affaires - International
Civil - Responsabilité
17/02/2021
Conformément aux solutions précédentes, la Cour de cassation rappelle qu’en matière de vente internationale de marchandises, ne doivent pas être confondus le délai de dénonciation des défauts de conformité et le délai d’action en responsabilité d’un sous-acquéreur contre le vendeur initial dans une chaîne de contrats. En revanche, ne peuvent pas être écartées les dispositions de l’article 39 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 pour l’inobservation du délai de dénonciation précité en cas d’action récursoire du sous-acquéreur contre le vendeur initial.  
 
Faits et procédure

En l’espèce, une société française – Wolseley France Bois et Matériaux, le sous-acquéreur – est condamnée à indemniser des acheteurs du dommage résultant des défauts affectant du carrelage. Ledit carrelage a été vendu à la société Wolseley le 18 avril 2003 par une société de droit italien – CMC, le vendeur initial (fournisseur). Assigné en garantie par le fournisseur, ce dernier oppose la prescription de l'action sur le fondement du droit italien. Il s’agit donc dans cette configuration particulière d’une vente internationale de marchandises entre deux sociétés de nationalité différente.

Pour mémoire, la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 1980 (CVIM) est le droit commun de la vente internationale, de sorte que si les parties au contrat ne l'ont pas expressément exclu, ses dispositions supplétives ont vocation à s'appliquer. À condition toutefois que la vente entre dans le champ d'application de la CVIM, que les États concernés ont adhéré à la Convention et que les questions susceptibles de se poser dans le cadre d’une vente internationale de marchandises trouvent leur issue dans ladite Convention. Les éventuelles lacunes doivent être comblées au regard des « principes généraux dont elle s'inspire ou, à défaut de ces principes, conformément à la règle applicable en vertu des règles de droit international privé », d’après l’article 7.2 de la CVIM. Il s’agit de ce que la doctrine appelle le principe d’interprétation autonome.

Dans les faits, le fournisseur a effectué la livraison du carrelage incriminé au sous-acquéreur le 18 avril 2003. Ce dernier a dénoncé le prétendu défaut de conformité de la marchandise le 1er mars 2006 uniquement. Condamné à indemniser les acheteurs finaux le 29 septembre 2009, il a appelé à la procédure ledit fournisseur par acte du 15 février 2008.

Saisie de l’affaire, la Cour d’appel de Bordeaux déclare recevable l'action de la société Wolseley au motif que la Convention de Vienne est seule applicable, ce qui induit que seules les fins de non-recevoir qu'elle édicte peuvent être opposés par les parties. Cet arrêt est cassé au visa de l'article 7.2 de la CVIM selon lequel « les questions concernant les matières régies par la Convention et qui ne sont pas expressément tranchées par elle sont réglées selon les principes généraux dont elle s'inspire ou, à défaut de ces principes, conformément à la loi applicable en vertu des règles du droit international privé » (Com., 2 nov. 2016, n° 14-22.114). En d’autres termes, la Cour d’appel aurait dû, en ce qui concerne les règles de prescription, se référer à la loi italienne et non pas opposer au demandeur – la société CMC – l’article 40 de la CVIM (fin non-recevoir tiré de la connaissance des défauts de conformité par le vendeur). Le droit civil italien prévoit quant à lui un délai de prescription d’un an à compter de la livraison tandis que le recours récursoire entre les professionnels faisant partie de la chaîne de contrats est régit par l’article 131 alinéa 2 du Code de la consommation italien. Ce dernier dispose que le vendeur final peut agir contre le vendeur initial dans un délai de un an « à compter de l'exécution de sa prestation, vis-à-vis du sujet ou des sujets responsables, pour obtenir la réintégration de ce qu'il a prêté ».  La Cour de cassation renvoie alors l’affaire devant la Cour d'appel de Poitiers.

Ladite cour d’appel estime notamment que la CVIM prévoit que l’acheteur dispose, conformément à l’article 39 alinéa 2, d’un délai d’action de deux ans maximum à compter de la remise effective de la marchandise pour dénoncer un défaut constaté. Toutefois, ce délai ne joue pas sur la prescription de l’action en justice récursoire du vendeur final qui trouve sa cause non dans le défaut de conformité lui-même mais dans l'action engagée par le consommateur. Ainsi donc, le débat même sur l'application des articles 39 et 40 de la CVIM est inopérant car la convention ne règle que les relations contractuelles entre vendeur et acheteur sans se préoccuper du recours récursoire de vendeur final contre son propre vendeur, ce qui relève, en vertu des règles de droit international privé, du ressort du droit italien.

La société CMC se pourvoit en cassation. La Haute juridiction suit les juges du fond en ce qui concerne la recevabilité de l’action : l’action engagée contre la société CMC est recevable sur le fondement des dispositions spéciales du Code de la consommation italien (premier moyen, troisième branche). Par le premier moyen pris en sa première branche, la société italienne tend à faire échec à la recevabilité de l’action de la société Wolseley en arguant que cette dernière est un vendeur professionnel et non un consommateur au sens de la directive n° 1999/44/CE du Parlement et du Conseil du 25 mai 1999. Or, rappelle la Cour de cassation, selon les termes de l’article 4 de ladite directive « lorsque la responsabilité du vendeur final est engagée vis-à-vis du consommateur en vertu d’un défaut de conformité qui résulte d’un acte ou d’une omission du producteur, d’un vendeur antérieur placé dans la même chaîne contractuelle ou de tout autre intermédiaire, le vendeur final a le droit de se retourner contre le ou les responsable(s) appartenant à la chaîne contractuelle », tandis que « le droit national détermine le ou les responsable(s) contre qui le vendeur final peut se retourner, ainsi que les actions et les conditions d’exercice pertinentes ».

Néanmoins, en ce qui concerne le second moyen pris en sa première branche, les Hauts magistrats rejettent l’argumentaire de la Cour d’appel de Poitiers. Ils affirment, au visa de l’article 39 de la CVIM, que « selon ce texte l’acheteur est déchu du droit de se prévaloir d’un défaut de conformité s’il ne le dénonce pas au plus tard dans le délai de deux ans à compter de la date à laquelle les marchandises lui ont été effectivement remises ». Ainsi, en écartant la déchéance invoquée par le vendeur final en la confondant avec la prescription, alors que cette dernière n’est pas traitée par la Convention de Vienne, la cour d’appel a violé, par refus d’application, l’article 39 précité.

Éléments d’analyse

L’existence même ainsi que les modalités des actions entre les intervenants dans les chaînes de contrats transnationales soulèvent des difficultés complexes qui prennent naissance dans l’articulation du droit interne avec le droit international privé.

Par un arrêt en date du 2 novembre 2016 précité, la chambre commerciale a su évacuer une des difficultés en décidant que « la prescription de l’action en justice intentée par l’acheteur contre le vendeur en matière d’une vente internationale de marchandises régie par la Convention de Vienne de 1980 ne relève pas de cette dernière et doit être déterminée en vertu de la loi nationale applicable au contrat de vente ». Cette solution, point nouvelle, est régulièrement rappelée par cette chambre (Cass. com., 16 janv. 2019 ; n° 17-21.477 ; Cass. com., 21 juin 2016, n° 14-25.359). En appliquant cette solution, la Cour d’appel de Poitiers a exactement déduit que les dispositions du Code de la consommation italien doivent s’appliquer en l’espèce (et non pas celles de l’article 1495 du Code civil italien, écartées en vertu de la règle specialia generalibus derogant).

Plus épineuse encore est la question du délai de dénonciation de l’article 39 précité et son articulation avec le délai de prescription. En effet, ledit article prévoit un délai de dénonciation des défauts de conformité extrêmement strict pour l’acheteur : deux ans à compter de la livraison de la marchandise. Les dispositions de l’article 39 ont été à maintes reprises décriées par la doctrine. Pour s’en convaincre, suffit-il d’imaginer une situation où le défaut apparaît plus de deux ans après la livraison, de sorte que le délai butoir imposerait sans concession la déchéance du droit de l’acheteur. Pour autant, passé ce délai, l’action en responsabilité en vue de réparation du préjudice serait-elle prescrite ?

La CVIM ne se préoccupe pas de la prescription. Il s’agit de ce que la doctrine désigne comme une lacune externe, la question de la prescription étant clairement exclue du champ de la Convention du 11 avril 1980. Ce rôle est dévolu à la Convention de New York de 1974 sur la prescription en matière de vente internationale de marchandises. Si, comme en l’espèce, les États en question n’ont pas adhéré à la Convention de New-York, il convient de mettre en œuvre le droit national applicable déterminé par la règle de conflit de lois (Cass. com., 3 févr. 2009, n° 07-21.827). Quelle que soit la loi nationale mise en œuvre, le délai annoncé à l’article 39 alinéa 2 de la CVIM est un délai de dénonciation. Or, à quoi correspond précisément ce délai de dénonciation du défaut de conformité ? Selon les termes choisis par le Professeur Leveneur, si l’acheteur ne dénonce pas le défaut dans le délai prévu, « il s'ensuit concrètement que l'acheteur ne peut rien réclamer au sujet d'un défaut qui s'est révélé plus de deux ans après la remise de la marchandise, ou même qui s'est révélé avant mais qui n'aurait pas été dénoncé avant l'expiration de ce délai : ses droits à cet égard sont éteints » (Contrats, conc. consom. 2009, comm. 187, note L. Leveneur).

Il en résulte donc que même si le délai de deux ans prévu pour la dénonciation des défauts de conformité est dépassé, l’action en responsabilité contre le vendeur initial n’est pas prescrite.

Quid maintenant de l’action du vendeur final contre le vendeur initial afin de sanctionner l’inobservation du délai prévu à l’article 39 ? La CVIM devrait-elle être également écartée au profit des dispositions du droit italien ? Telle n’est pas la position de la Cour de cassation qui censure le raisonnement de la Cour d’appel de Poitiers selon lequel l’action récursoire de la société française Wolseley contre l’italienne CMC trouve sa cause non dans le défaut de conformité lui-même mais dans l'action engagée contre CMC par l’acheteur final. La Haute juridiction a estimé que la CVIM doit s’appliquer dans ce cas.

On observera enfin que la question du délai butoir et de son régime strict prévu par la CVIM est une question de politique juridique. Qui doit être privilégié, l’acheteur ou le vendeur ? Il en ressort tant de la CVIM que de la présente solution de la chambre commerciale que le régime est toujours favorable au vendeur initial : la sécurité des situations juridiques établies prévaut.
 
Source : Actualités du droit